Bergad (Laird W.), The comparative histories of slavery in Brazil, Cuba and the United States, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, 314 p.


Compte rendu par Bernard Lavallé


Au cours des dernières décennies, l’histoire de l’esclavage dans le Nouveau Monde s’est développée de manière exponentielle. Tous les pays qui connurent dans le passé ce système d’exploitation de la main-d’œuvre afro-américaine ont vu fleurir un grand nombre d’ouvrages et d’études sur ses différents aspects.

Le présent livre, écrit sur une suggestion du grand spécialiste de la question Stanley L. Engermann, est dû à la plume d’un historien à qui l’on doit déjà des travaux fondamentaux sur l’esclavage à Porto Rico, Cuba et le Brésil. Il était donc particulièrement désigné pour mener à son terme cette étude comparative. Elle est bienvenue dans la mesure où, s’il existe des livres donnant une vue d’ensemble de la question au niveau continental, par la force des choses, et étant donné l’extension qu’avait connue le phénomène, il s’agit de sommes ne pouvant de fait entre très avant dans les situations locales dont elles ne peuvent donner que les grands traits.

Le choix de l’auteur s’est donc porté sur trois zones qui, malgré des différences évidentes dont le livre rend compte ont en commun d’avoir été celles où le phénomène esclavagiste a été le plus massif dans les économies et les sociétés concernées, et a eu le plus d’ampleur vu l’extension des régions où il se pratiquait. C’est là aussi qu’il a duré le plus longtemps, bien après les abolitions anglaise de 1833, française de 1848, et celles de la plupart des jeunes républiques nouvellement indépendantes au milieu des années 1850, puisque l’esclavage n’a été supprimé aux États-Unis qu’en 1865, à l’issue d’une guerre civile dont fut un des principaux enjeux, à Cuba en 1886 et enfin au Brésil en 1889.

Le travail de L. W. Bergad n’apporte pas à proprement parler d’éléments nouveaux dans la connaissance de l’esclavage américain, mais sa volonté comparative est son principal mérite, dans la mesure où il met ainsi en lumière des ressemblances, des nuances, des différences, voire des évolutions contradictoires, que l’on n’a pas toujours, tant s’en faut, en mémoire lorsqu’on parle de l’esclavage américain.

Après avoir rappelé (chap. 1) les grands traits définitoires de l’évolution des trois pays étudiés, et insisté sur le rôle des contextes qui jouèrent de façon primordiale, à des époques différentes, dans l’essor de cette forme de travail, le chapitre 2 est consacré à la diversité de l’esclavage dans les Amériques à la fin du XVIII° siècle, diversité des statuts et des pratiques à l’intérieur d’une même société, mais diversité aussi dans les règles imposées dans les trois zones de référence. Il y a là des pages particulièrement heureuses, car, sur l’esclavage comme sur d’autres grands phénomènes de l’histoire américaine, les généralisations (et les généralités) ont souvent pour effet d’écraser les perspectives et de conduire à des pertes de signification.

Le chapitre 3 (Slaves in their words) tend, comme son titre l’indique, à redonner une voix aux captifs, ou plutôt, à l’écouter puisque l’on dispose malgré tout de témoignages, rares mais significatifs, de victimes de cet inhumain système. Le chapitre 4 lui, offre dans la chronologieun panorama de cette population esclave dans les trois pays envisagés, sous les angles des nombres, des proportions représentées par rapport à l’ensemble des habitants, des ratios hommes/femmes, des dynamiques démographiques, de l’établissement en ville ou dans les plantations, etc. tous éléments qui contribuent eux aussi à mettre l’accent sur cette diversité et ces disparités dont il a été question plus haut.

Le cinquième chapitre envisage plus spécialement les questions économiques : coût et rentabilité de l’esclavage (question, qui on le sait a suscité bien des débats), considérations sur l’intérêt économique de l’esclavage urbain et/ou rural à un moment donné, insertion de ce moyen de production dans l’évolution globale du capitalisme et de l’économie monde, alternatives à l’utilisation de la main d’œuvre captive, questions qui pratiquement toutes reçurent des réponses variées selon les époques et les pays concernés.

Les deux chapitres suivants, sur la création d’un espace social pour (et par) les esclaves et leur résistance au sort qui leur était imposé sont de même très intéressants et montrent, en revanche, comme ces réactions au système présentent beaucoup de ressemblances, malgré des contextes culturels et politiques différents qui finirent néanmoins par imposer leur sceau et façonner les voies de cette résistance.

Enfin, le dernier chapitre analyse les trois processus économiques, politiques mais aussi culturels de l’abolition, qui, on l’a dit, dans les trois cas fut tardive, et sur beaucoup des points problématique.

En conclusion, une excellente somme qui arrive à bien faire le départ entre unité et diversité de l’esclavage américain dans les trois pays où il fut sans doute le plus prégnant.

(03/2009)