Hernández González (Manuel), El Sur dominicano (1680-1795), t. I El sureste (184 p.), t. II El área capitalina (431 p.), Santa Cruz de Tenerife, Ediciones Idea, 2008.


Compte rendu par Bernard Lavallé



Depuis quelques années, Manuel Hernández González a entrepris une sorte d’analyse globale de la société dominicaine à une époque charnière de son histoire, de la fin du XVII siècle (1680) jusqu’au traité de Bâle (1795). Il avait ainsi publié au cours des années précédentes La colonización de la frontera dominicana (1680-1795), Tenerife, 2005, et Expansión fundacional y crecimiento en el norte dominicano (1680-1795). El Cibao y la bahía de Samaná, Tenerife, 2006. Avec ce nouveau livre, il s’attache à la partie sud de l’île, avec pour objet d’étudier les changements et les transformations de la société dans cette région sur les plans de la démographie, de la politique, voire de la culture, afin d’offrir une vision d’ensemble de la structure sociale à une période qui commence par la lente inversion des signes jusque-là (et depuis longtemps) négatifs de l’économie insulaire. L’apparition du phénomène migratoire canarien commence à faire sentir ses effets, ainsi que l’augmentation progressive des échanges avec l’intrus de plus en plus présent qu’était l’établissement français dans la partie ouest, qui entraîna la fondation d’une série de bourgades le long de la frontière et l’affirmation de l’activité sucrière dans la partie espagnole à l’image, modeste, de ce qui se passait de l’autre côté de la frontière.

Le premier tome, le plus court, étudie la partie sud-est de Santo Domingo, les six municipios de Monteplata, Boyá, Bayaguana, San José de los Llanos, Higüey et El Seibo. A partir d’un travail d’archives minutieux et remarquable (en particulier avec l’utilisation systématique des testaments), M. Hernández González montre leur origine et leur évolution, les caractères du développement de chacun au cours du XVIII° siècle (activités, niveau de rente, vie quotidienne et religieuse, etc.) en insistant sur le rôle joué dans certains par l’élevage, l’exploitation du bois, l’immigration canarienne ou l’évolution de l’esclavage. Un des mérites de ce travail étant de ne pas se contenter de donner des idées générales, mais de rentrer dans le détail des réalités subrégionales et d’en montrer de manière très suggestive les contrastes et les décrochages.

Le second tome, beaucoup plus volumineux, aborde les mêmes problèmes pour la région dans la dépendance directe de la capitale. Du fait de cette influence de plus en plus décisive, les réalités dont il est question sont beaucoup plus variées et de nouveaux aspects apparaissent, qui diversifient de façon considérable le panorama dominicain : politique (difficilement mise en place) de concentration de Noirs libres dans la juridiction de San Lorenzo de Minas, incidences de la Guerre de Succession, projets d’exploitation de mines de cuivre à San Carlos de Tenerife, construction d’une réseau d’approvisionnement de la capitale, développement significatid de l’activité sucrière, conséquences sur le régime de propriété de la terre, difficultés de cohabitation de travailleurs libres et esclaves dans les ingenios, volonté politique de la contrôler ainsi que de faire baisser de manière significative le nombre des manumissions, etc.

La seconde moitié du tome (plus de cent cinquante pages) est ensuite consacrée à la capitale, Santo Domingo. Manuel Hernández González y étudie l’évolution de la trame urbaine, du point de vue institutionnel, social et commerçant, en faisant une place particulière à l’action du clergé dans ce processus. Il insiste aussi sur la constitution d’une véritable élite urbaine, dans laquelle les Canariens jouèrent très vite un rôle très important. Il montre aussi comment cette élite travailla à se renforcer et à s’enrichi,r surtout au cours de la seconde moitié du XVIII° siècle.

Notons également que pour la capitale, comme pour la plupart des municipios étudiés dans l’ouvrage, mais à un degré moindre pour ceux-ci, le livre consacre, dans une perspective plus nettement anthropologique qu’historique, des pages fort suggestives aux festivités locales et à la religiosité, qui viennent heureusement compléter l’étude des évolutions économiques et sociales qui constitue l’objet essentiel de l’étude. Elles montrent comment celles-ci eurent, comme il est normal, une incidence sur l’ensemble des pratiques des diverses composantes de la société insulaire.

Ce livre, qui doit être replacé dans la série consacrée par l’auteur à l’ancienne Hispaniola du XVIII° siècle, complète de manière très heureuse les études que l’on connaissait déjà sur cette île grâce à la précision du travail micro-régional qui montre bien les variations, voire les oppositions, existant entre les diverses partie de l’île. Il offre surtout un panorama général d’une région jusque-là marginalisée et oubliée dans l’Empire qui peu à peu, sous le triple effet des politiques nouvelles imposées par la métropole, des conditions générales de la nouvelle économie monde, et de la proximité problématique du Saint Domingue français de plus en plus florissant, a connu dans tous les domaines une série décisive de changements qui ont modifié de manière très sensible sa physionomie et ses équilibres, et l’ont fait sortir du marasme où elle avait végété un siècle et demi.